Entretien: Karin Scheidegger

Karin Scheidegger, photographe indépendante et enseignante d’anglais, a à son actif de nombreux travaux photographiques, en Suisse et à l’étranger. Actuellement, elle travaille sur un projet artistique avec des jeunes de l’Andra Pradesh. A cette fin, elle a effectué, pour la deuxième fois, un voyage en Inde ce printemps.

ACTARES: Un reportage photographique a été l’occasion d’une rencontre assez particulière avec la cimenterie Ambuja Cements, une filiale de Holcim. Pouvez-vous nous en retracer les évènements principaux?

Karin Scheidegger: J’étais avec mon chauffeur local en route pour prendre des clichés de la population et de sa vie quotidienne. J’ai photographié des travailleuses et travailleurs devant les portes de la cimenterie, ce qui a été à la source d’une série d’évènements choquants: nous avons été informés par les personnes en charge de la sécurité que nous n’étions pas autorisés à prendre des photos à cet endroit et priés de nous éloigner à 500 mètres du portail de la fabrique. Puis, elles nous ont poursuivis et menacés. Mon chauffeur a été battu et humilié. Quand nous avons contacté la police locale, ses employés ont refusé d’enregistrer une plainte contre le personnel de sécurité. Grâce au soutien de membres du parlement du village et de journalistes indépendants, celle-ci a été finalement acceptée. En prime, l’entreprise nous a gratifiés d’une contre-plainte imaginaire pour entrée illégale sur le terrain de la firme.

Comment évaluez-vous la situation concernant la population locale?

Ambuja Cements privilégie l’engagement de personnel temporaire. Ceci est contraire à la loi indienne selon laquelle la plus grande partie de la main d’œuvre doit être engagée directement par l’entreprise. Le personnel temporaire est souvent exploité pendant des années, ne reçoit qu’une fraction du salaire normal, suffisant à peine pour vivre, et ne bénéficie ni de prestations sociales, ni d’indemnités pour maladie. De plus, en étendant son territoire, l’entreprise confisque sans ménagement les lieux de lavage du linge des communautés villageoises et met en danger leur santé. La surexploitation de l’eau de la nappe phré-atique prive les paysannes et paysans de leurs moyens de subsistance, ce qui souvent les contraint à s’engager comme temporaires.

De retour en Suisse, vous avez contacté Holcim et lui avez demandé de prendre position sur ces évènements en Inde. Que s’est-il passé ensuite?

J’ai reçu un rapport d’enquête citant des faux témoignages contre nous de membres du personnel de la cimenterie. Le mari d’une politicienne du village qui m’avait soutenue à la direction de la police a été licencié sans délai par Ambuja Cements. Il y travaillait depuis de nombreuses années en tant que temporaire. Mon chauffeur a dû se présenter quatre fois devant le juge et a été enjoint de retirer sa plainte en septembre, s’il ne voulait pas s’attirer de nouveaux problèmes. Néanmoins, la plainte déposée contre lui a été abandonnée.

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