Editorial: Plus rien n'est comme avant

Comment ne pas revenir sur la dernière assemblée générale de Nestlé? Pour la première fois, les actionnaires de la plus grande entreprise de Suisse étaient appelés à voter sur des propositions issues de leurs propres rangs. La Fondation Ethos, soutenue par cinq caisses de pensions, avait réussi à déposer trois motions destinées à renforcer le contrôle des actionnaires : interdiction du cumul de la présidence du Conseil d'administration et de celle de la Direction, diminution de la durée des mandats des administrateurs et réduction du nombre d'actions nécessaires pour inscrire un objet à l'ordre du jour.

Le résultat est connu : à peine un actionnaire sur deux pour soutenir le double mandat de Peter Brabeck et plus de 36% des voix en faveur des frondeurs. Ce résultat dépasse de loin les spéculations les plus folles et relègue au rang d'anecdote tant l'escamotage du deuxième vote pour absence de quorum que le résultat du troisième, moins surprenant mais tout de même honorable avec 14% de oui et 12% d'abstentions. Suite à ce résultat, la concentration des pouvoirs, présentée jusqu'à l'assemblée comme la solution idéale, devient pour le Conseil d'administration une solution transitoire destinée à ne pas durer. Peter Brabeck ne siègera pas non plus au comité de rémunération, contrairement à ce qui était prévu. Et quelques jours plus tard, on apprendra qu'il restera simple administrateur de Credit Suisse Group, renonçant au poste de vice-président qui lui était promis. Le soulèvement des actionnaires ne sera donc pas resté sans conséquences.

En fait de soulèvement, c'est une révolution qu'a vécu la délégation d'ACTARES. Il y a désormais en Suisse un "avant" et un "après" Nestlé. Un changement d'ère a eu lieu le 14 avril 2005. Les actionnaires se sont affranchis de dirigeants érigés en despotes éclairés et ont atteint, malgré leur défaite mathématique, l'objectif de faire valoir leurs droits de propriétaires et d'influencer la conduite de leur entreprise. Désormais, les assemblées générales cesseront d'être automatiquement des chambres d'enregistrement, aux plébiscites quasi absolus, mais pourront se transformer en véritables hauts lieux de l'exercice des droits des actionnaires. Le temps du pouvoir sans partage de la caste dirigeante est révolu.